Un très beau poème de Baudelaire le présente bonheur comme un endroit, sans doute inaccessible, où tout n’est que… luxe, calme et volupté. Je ne me prononcerai pas sur le luxe ni sur la volupté, mais je crois pouvoir admettre qu’en effet il est difficile d’être heureux sans calme. Paradis artificiel ? Certainement. Et aujourd’hui, des millions de personnes vivent, plus ou moins bien, dans de tels paradis, grâce aux calmants chimiques. Ce n’est pas le poète Baudelaire qui les a inventés.
L’histoire commence en 1954, quand un chimiste juif polonais, Leo Sternbach (1908-2005), travaillant pour la société pharmaceutique Hoffmann-La Roche, synthétise une nouvelle structure moléculaire, correspondant au groupe de substances que l’on va appeler les benzodiazépines. Sternbach avait fui l’Europe en 1941, et s’était installé aux États-Unis, où il trouve un emploi au service du groupe multinational pharmaceutique d’origine suisse.
Exploit assez banal. Très régulièrement, dans les laboratoires des grandes entreprises pharmaceutiques du monde entier, des chimistes synthétisent de nouvelles molécules. Le tout est alors de savoir qu’en faire !
En 1956, Sternbach a poursuivi ses travaux, et il a synthétisé une nouvelle benzodiazépine, le chlordiazépoxyde. Et, en avril 1957, Lowell Randall (1910) teste ce chlordiazépoxyde sur des souris et des chats. Le produit n’est pas toxique. Il provoque de la sédation, une certaine relaxation musculaire, mais surtout, ce qui est le plus remarquable, il produit une action tranquillisante très nette. Les essais vont se poursuivre jusqu’en mars 1960, quand la société Hoffmann-La Roche procède au lancement commercial d’un nouveau tranquillisant, le Librium, qui est en fait du chlordiazépoxyde.
Le succès est inouï.
Sternbach se rend compte qu’il a mis le doigt sur un groupe moléculaire prometteur, et il poursuit ses travaux. Il synthétise une nouvelle benzodiazépine, le diazépam, qui se révèle encore plus intéressant comme calmant.
Il est lancé sur le marché en 1963, sous le nom de Valium.
Le chimiste d’origine polonaise (il a obtenu la nationalité américaine) synthétise encore, dans le même groupe moléculaire, l’oxazépam, qui sera commercialisé en juin 1965 sous le nom de Serax. Un tranquillisant, calmant ou anxiolytique.
Il y en aura encore d’autres.
Le 29 octobre 1969, un chimiste de la Upjohn Company, à Kalamazoo (Michigan), Jackson B. Hester, introduit une demande de brevet pour un groupe de molécules qu’il a synthétisées, les 6-phény1-4H-s-triazolo[4, 3-a]-[1, 4]-benzodiazépines. Le nom, on l’admettra, est un peu long, et on appellera ces substances d’un terme générique : alprazolam. L’US Patent 3987052 est accordé à cette invention le 19 octobre 1976. Entre-tremps, la société Upjohn a pu établir les propriétés anxiolytiques de ces nouvelles benzodiazépines. Le produit sera mis sur le marché en 1981, sous le nom de Xanax. C’est un des produits contre l’angoisse les plus consommés à l’heure actuelle.